pour un album…
Grand-mère, c’est quelqu’un
Grand-mère, c’est quelqu’un
D’abord, elle est née il y a longtemps très longtemps, il y a cent ans de dimanches, elle dit, la preuve c’est mes cheveux blancs qui caracolent au vent
Et puis elle est née loin très loin dans un désert très grand, immense, le pays des daman-daman et des tortues qui trottinent, elle dit tout de go
Grand-mère, c’est quelqu’un
Quand elle était petite elle voyageait à dos de chameau, elle se nourrissait de dattes et de lait de chamelle, elle bivouaquait, jouait avec les enfants de couleur et parlait plein de langues bizarres, c’est que mon papa était un explorateur de grottes perdues, un archéologue de renom, elle sourit, rêveuse, ah la la, c’est loin tout ça
Grand-mère, c’est quelqu’un
Un jour, il y a eu la guerre, là-bas. On était allés au marché. C’est arrivé sans crier gare : les jeeps, les soldats, les mitraillettes… Elle fait sa petite voix, grand-mère
Tout le monde courait partout, j’ai perdu papa et maman, je criais, une dame m’a attrapée, elle m’a gardée, on a fui pour Marseille dans un vieux coucou bringuebalant… Grand-mère ferme les yeux, comme si la guerre était restée dans son corps. Oh, farigoule, quelle peur j’ai eu, une peur bleue
Grand-mère, c’est quelqu’un
Une peur bleue, je ne sais pas bien ce que c’est. Ce que je sais, c’est que Grand-mère était dégourdie, elle connaissait son nom, son prénom, son âge. Grâce à ça, peu après, elle a retrouvé ses parents qui étaient sains et saufs eux aussi. Nom d’un rutabaga, elle soupire, pour rien au monde je ne voudrais revivre ça
Grand-mère, c’est quelqu’un
Maintenant elle habitait une grande maison dans un pays vert couvert de pruniers à perte de vue, elle faisait l’école buissonnière, elle grimpait tout en haut des châteaux forts et dans les arbres même si ce n’était pas permis, je ne secouais plus les cocotiers, hé non, je secouais les pruniers, et elle éclate de son rire ébouriffé. Grand-mère, elle est comme ça. Si c’était le bon temps ? Oh que oui !
Grand-mère, c’est quelqu’un
Plus tard je serai parachutiste… heu, enfin… escaladeuse… heu non, plutôt aviatrice… Redescends un peu les pieds sur terre, ce sont des métiers bons pour s’écraser, se fâchait son papa. Grand-mère ne s’est pas écrasée du tout, comme elle n’en faisait qu’à sa tête, elle est devenue… élagueuse. Je travaillais tout près des nuages, parmi les oiseaux, ah quelle joie, si c’était à refaire je le referais sur le champ. C’est que Grand-mère est gaie comme un pinson
Grand-mère, c’est quelqu’un
Scions, scions, scions du bois… c’est dans les arbres que j’ai rencontré grand-père. Il y a eu le concours du plus beau tilleul taillé. Ça s’est passé autrefois, bien sûr, au temps du premier homme qui a marché sur la lune et du rock-and-roll. Ton grand-père était un fringant pépiniériste, pour ses beaux yeux, j’ai mis toute mon ardeur à gagner. On est tombés amoureux sans tomber de nos pommiers à élaguer ! Ah, saperlipopette, scions, scions, scions du bois
Grand-mère, c’est quelqu’un
Voulez-vous prendre pour époux…. Bayada et Sylvanus se sont mariés, ils ont eu beaucoup d’enfants, comme dans les contes. Sept enfants et trente-six petits enfants, qu’elle annonce, Grand-mère, à qui veut l’entendre, et n’oublions pas d’y ajouter une ribambelle de jolis petits arbres ! Bon sang de bonsoir, j’avais une belle flopée de bambins à élever
Grand-mère, c’est quelqu’un
Et ce n’est pas tout. Avec tant de bébés sur les bras, Grand-mère qui avait de la suite dans les idées, a changé de travail, elle est peu à peu devenue… inventeuse de roses. Inventeuse de roses, oui, oui, je ne mens pas. Obtenteur, c’était mon métier, précise Grand-mère avec fierté. Là aussi, elle a participé à des concours, remporté des prix, fait le tour du monde, je me régalais, nom d’une épine, tous ces voyages en avion !
Grand-mère, c’est quelqu’un
Elle devient un peu vieille mais faut pas croire, elle reste la championne des drôleries. Tiens, par exemple, elle participe au club de lancer de hache le dimanche, pardine, c’est qu’à mon âge, faire voler des cognées, ça me ravigote, elle dit avec entrain
Grand-mère, c’est quelqu’un
Ce que je préfère, c’est quand maintenant elle m’invite à monter dans son grenier. Mon grenier à souvenirs, comme elle dit… allez, grimpe ma cocotte, c’est plein de trésors là-dedans ! Et on s’assoit au bord de la lucarne, avec la campagne en bas, le ciel en haut. Ce que j’aime par-dessus tout, c’est les ribambelles de mots de Grand-mère, ses flopées de paroles, ses envolées d’histoires. Quand elle raconte sa vie, ah la la, je décolle… je caracole…
* * * * * * * *
un texte drôle…
Madame Machintruc s’entête
Ça fait déjà un moment que ça dure, Madame Machintruc (Yvonne de son prénom), en a par-dessus la tête de voir sa tête tous les jours dans le miroir. Une tête ce qu’il y a de plus ordinaire, avec un nez au milieu de la figure (exagérément en trompette, s’il vous plaît), une bouche plutôt moche (et qui fait la moue par-dessus le marché), deux yeux dont elle ne donnerait pas cher.
- Quelle tête j’ai ! Regarde-moi ça, elle ne ressemble à rien, une tête qu’a l’air tarte ! Si encore elle avait un air de rockeuse endiablée ou de belle gitane sous un soir d’été. Même pas. Rien que du fade-mou. Une tête à faire peur.
Madame Yvonne Machintruc est franchement dépitée, elle se parle toute seule à voix haute, c’est le cri du désespoir. Ah, si elle était quelqu’un d’autre, quelle merveille ce serait.
- Si t’es pas contente, c’est pas compliqué, t’as qu’à en changer de tête au lieu de râler, lui lance sa tête, là-bas, en face dans la glace.
- Ça c’est une idée ! Une excellente idée. Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt à me trouver une tête toute neuve ?
Machntruc Yvonne (Madame) se souvient d’une pub qu’elle avait vu dans sa boîte aux lettres. « Changez de tête vous serez à la fête ». « Changez de tête vous verrez c’est chouette ».
Madame prend ses cliques et ses claques, son manteau chic et son mignon petit sac et file en ville, rue du Cap, chez le marchand de têtes.
Ça tombe bien, le magasin est ouvert. C’est sans hésiter une seconde que Madame Machintruc passe le seuil. Que de rayonnages emplis de boîtes avec leurs étiquettes. Il y en a pour tous les goûts. Tête de Turc. Tête de mule. Tête façon Cléopâtre. Tête de linotte. Tête de jeune fille rangée. Tête de princesse. Tête à faire peur. Tête de clown. Tête en l’air. Tête d’esthète. Forte tête. Tête pâle. Tête de pirate. Et j’en passe.
- Bonjour, Madame, ce serait pour quel style de tête ?
Le vendeur a justement une bonne tête, elle se sent tout de suite à l’aise.
- J’hésite… je ne sais pas exactement laquelle me conviendrait…
- Essayons une tête jeune et charmante.
- Ah, oui, oui, une tête jeune et charmante.
- Voyons… taille 38. Brune ? Blonde ? Et la couleur des yeux ? Avez-vous songé à la couleur des yeux ?
Le marchand questionne, Madame Machintruc tâtonne. Le marchand tire des boîtes des étagères, soulève des couvercles, déplie de jolis papiers de soie, fait apparaître une tête puis une autre. On discute, on compare, on se demande laquelle irait le mieux.
- Je désirerais… heu… une tête vraiment remarquable. La mienne est tellement commune…
- J’ai ce qu’il vous faut !
Le marchand saisit une boîte : tête à la Marylin Monroe.
- Oh oui, celle-ci est magnifique !
Madame Machintruc Yvonne, il lui faut poser la sienne, de tête, sur le comptoir, et de la voir, comme ça, loin d’elle, ça ne lui donne aucun regret.
- La tête à Marylin est exceptionnelle et elle vous va à ravir.
Elle se regarde de ce côté-ci, se contemple de ce côté-là, s’évalue de la tête aux pieds et des pieds à la tête.
- Je la prends.
Ça va considérablement lui changer la vie.
Elle paye (cher), jette un petit coup d’œil d’au revoir à sa tête, plonge dans la rue, sûre d’elle. De l’enthousiasme plein la tête. Les gens se retournent sur son passage, la regardent avec admiration, un homme fond sur elle et la demande en mariage, d’autres réclament des autographes, un monsieur lui propose un grand rôle au cinéma. Madame Machintruc est étonnée, ravie, aux anges, la tête dans les nuages. Les choses s’enchainent, se précipitent, elle devient célèbre, voyage, change de nom (Vona Van Stoemp). Quelle vie trépidante, quelque peu rock and roll mais comme c’est bon (bon).
Sauf que ça finit par lui faire tourner la tête et qu’elle ne se sent plus du tout dans son assiette.
Vona prend ses cliques et ses claques, son manteau chic et son mignon petit sac et court en ville, rue du Cap, chez le marchand de têtes, où elle entre en coup de vent.
- Cette tête me prend la tête !
Ça ne va pas du tout, il lui faut en changer et vite fait.
- Qu’est-ce qui vous arrangerait, Madame ? Toujours en taille 38, n’est-ce-pas ?
Encore aux petits soins, le vendeur, tout sourire, une tête bien faite, quoi.
- Je veux une tête qui me repose la tête.
Le marchand s’affaire, Vona (Van Stoemp) espère. Lui disparaît derrière son comptoir, elle se voit pleine d’espoir. Lui fait surgir une boîte étiquetée « Tête de reine africaine ».
- C’est là exactement ce qui vous conviendrait. La belle Nandy. Reine et sage parmi les sages.
Chic, que les choses se calment et qu’elle ne finisse pas fêlée. Ce n’est pas une vie de mener une vie sans tête ni queue.
Petits froufrous de papiers qui folâtrent.
- Oh, merveilleux… !
Fini Vona Van Stoemp, voici la nouvelle tête en place, voici Nandy qui s’admire de pied en cap devant le miroir, fait trois pas comme ci, trois pas comme ça.
- Comment vous sentez-vous ?
Bien, elle se sent. Bien dans sa tête, bien dans ses baskets. Fini de courir ventre à terre après des chimères. Et c’est la tête légère, la tête reposée, la tête sur les épaules, qu’elle met le pied dans la ville, la tête débordante d’envies douillettes. Tout nouveau tout beau. Elle marche d’un pas paisible. Ça ne dure guère. Des gens s’arrêtent sur son passage, certains lui jettent à la tête des noms d’oiseaux, (des pas tristes aux plus gros), et ça ne s’améliore pas, les quolibets s’accumulent, et les petits gestes méchants. La sage Nandy ne se démonte pas. Elle continue bien pacifiquement d’aller et venir. Seulement voilà, reine ou pas reine, femme de tête ou pas femme de tête, une tête nouvelle dans le paysage, ça déplait à beaucoup. Une dame lui crache à la figure, un bonhomme (genre tête à claques) lui balance une gifle. Ça ne devient pas drôle du tout.
Nandy respire un bon coup, et avant de se faire couper la tête, elle prend ses cliques et ses claques, son manteau chic et son mignon petit sac et fonce en ville, rue du Cap, chez le marchand de têtes.
- Ah ça non, attirer la haine sur ma tête, je n’en veux plus, ni vivre enfermée, cloîtrée, parquée.
Devant pareille détermination, le vendeur, gentil toujours, se gratte longuement la tête, puis se la creuse sérieusement.
- Voyons… j’ai cette tête-ci… puis celle-là… cette autre… ou bien… tiens, tentez celle-ci à l’essai…
Et c’est la valse des essayages, le tourbillon des trocs de têtes. On prend telle tête, on la place, on met le nez dehors voir ce que ça donne. Et puis on revient à cent à l’heure. C’est la cavalcade des têtes mises et enlevées, on passe ses journées au magasin, on entre et on sort, c’est que sur les rayonnages, dans la vitrine, dans la réserve il n’y a que l’embarras du choix, de quoi se ruiner : tailles, coloris, qualités, … on y trouve tout ce qu’on veut. Tête de cochon. Tête de Méduse. Tête brûlée. Tête ailleurs. Tête couronnée. Tête d’œuf (ou intello). Tête de de liste (ou homme politique). Tête de Pharaon. Tête de Parigot. Tête de cow-boy. Tête branchée.
On tente mille possibilités, ça ne marche jamais. Y toujours un truc qui cloche.
- La greffe ne prend pas toujours, dit le marchand avec un petit hochement de tête.
(Quelle phrase mystérieuse)
On ne sait plus où donner de la tête, on ne sait plus comment on s’appelle ni où on habite, on se dit ça va pas la tête, on s’inquiète, ça devient particulièrement dangereux, on se retrouve la tête à l’envers, ça va mal finir toute cette histoire. On ne sait plus que faire et le marchand non plus quand voilà qu’une drôle de tête, là, (la sienne) dans un coin, l’air de rien, (et en promotion) attire l’œil, une tête ce qu’il y a de plus banal, genre tête baissée, une tête quelconque en somme.
- C’est celle-ci qu’il me faut !
Fin des coups de têtes. Madame Machintruc Yvonne retrouve ses esprits, elle enfile la tête, elle prend ses cliques et ses claques, son manteau chic et son mignon petit sac, quitte le magasin (sans payer, figurez-vous) et repart du bon pied jusque chez elle.
Ah, vivre en tête à tête avec sa tête…
(texte pour album écrit à Orthez, les 7 et 8 octobre deux mille dix-têtes, lors du salon du livre dans la salle Moutête)
***************
Paroles pour Tiago
12 poèmes douillets pour mon petit-fils et une chanson d’amour
duerme duerme negrito
que tu mamà està en el campo
si petit beau bébé
tout juste
au monde
si petit beau bébé
dans mes bras
de grand-mère
je te berce
je te parle
je chante
si petit beau bébé
duerme duerme negrito
que tu mamà està en el campo[1]
juillet 1016
§§§§
d’or et d’oiseaux
le petit matin
dans la cour
de la maison des Aubes
je suis grand-mère
d’un petit prince
août 2016
§§§§
à quoi joueras-tu
plus tard ?
à quels jeux joyeux
batailleurs
désinvoltes
graves
à quels jeux ?
la vie est un étrange manège
nul ne sait
septembre 2016
§§§§
des châtaignes
plein mes poches
des images plein les yeux
je vais dans les bois
je rêve
je t’apprendrai la saveur du vent
et des libellules
dans la grâce des jours
octobre 2016
§§§§
kokolou [2]
c’est le nom
de la petite noix
rare
ronde
précieuse
que les yeux
dénichent
parmi les noix
de belle taille
c’est l’unique
kokolou
petit mot d’amour
qui sied
aux bébés
novembre 2016
§§§§
la neige
aimeras-tu la neige ?
et ses fôlatreries
de grande dame blanche
tombée du ciel
et alanguie
au-dessus des champs
l’aimeras-tu
la douce
cachottière ?
décembre 2016
§§§§
sur l’amandier
là-haut
tout à la cime
les bourgeons
dodelinent
dans la lumière
dans les bras
de son papa
petit garçon
brille
au sommet
de leur joie
janvier 2017
§§§§
premier voyage
(encapuchonné)
jusqu’à la montagne
tu as eu froid
dans le grand air
tu as pris aux joues
les couleurs
des bébés d’autrefois
le rouge vif
des pommes d’Ile
et le regard étonné
vers lequel se déverse
la largesse
du monde
février 2017
§§§§
tu vas
à plat ventre
déjà plus
poisson
pas encore
oiseau
tu vas
sur tes petits cris
de gorge
et de joie
aller de l’avant
t’enthousiasme
petit pèlerin
tu traces
ton chemin
d’enfant
d’homme
mars 2017
§§§§
petit homme
songe
quand il marchera
il jouera aux quilles
et puis il courra plus vite que sa sœur
et puis il regardera maman de loin
(c’est bien de regarder de loin
l’amour prend
une tournure
et un goût
nouveaux)
et puis il grimpera dans le grenadier
le grand figuier
le sureau géant
et même il prendra son élan
et fera le tour du monde
à tire d’aile
et puis
et puis
avril 2017
§§§§
j’ai planté
un cerisier
et un noisetier
cueillis au bois
petit bonhomme d’arbre
deviendra grand
mai 2017
§§§§
tenir debout
tu sais maintenant
ton regard chemine
plus loin que tes pas
il ausculte les alentours
c’est un grand explorateur
il devance ta main
semble lui chuchoter
de prendre les devants
que pas loin
à deux pas
il y a de bonnes affaires
à saisir
oui mais voilà
y a un truc
où ça coince
les jambes ne suivent pas
tu ne sais pas bien
comment tout cela pourrait
s’accorder
le regard
la main
les jambes
le truc que savent les grands
et qui semble simple comme un bonjour
mettre un pied devant l’autre
aller de l’avant
oh et puis zut
on verra plus tard
et vive le quatre pattes
filer comme l’éclair
que c’est bon
juin 2017
§§§§
sur la scène du monde
tu saisis le ballon
dans tes mains
tu tiens la terre entière
la lances en avant
la regardes aller
dans un éclat de rire
elle te revient
de mes mains
tu l’accueilles
dans un grand
frémissement
de tout le corps
plus tard
tu fermes les yeux
tu endors le silence
et berces la paix du monde
dans tes bras potelés
juillet 2017
[1] Chanson de Atahualpa Yupanqui
[2] Prononcer avec le o ouvert occitan
*******************
Paroles pour Mia
Paroles pour ma petite-fille
« Je veux le rire franc, je veux l’étoile nue », Victor Hugo, L’Art d’être grand-père
« Tracés fugaces… », Chantal Dupuy-Dunier, Ephéméride
octobre 2013
J’apprends que tu es là. Des larmes me sautent à la gorge. Le corps est parfois bien trop petit, la parole dans les lointains. Je m’appuie contre le buffet.
Je viens d’apprendre que tu es là. Un monde s’inaugure. Il a suffit de répondre oui au repas de fête auquel j’étais conviée par ta maman et ton papa et me voici avec un titre à venir.
Grand-mère, je vais être grand-mère.
Depuis quelques jours, j’ai une attention fervente pour les arbres. Je les regarde et je sais bien que c’est en ta compagnie. Je leur chipe des feuilles. Une ou deux à l’aubier du jardin voisin. Elles sont menues et mordorées. Au cerisier de la rue des Chardonnerets ; et je prends les plus minuscules. Je les contemple, palpitantes dans leurs couleurs d’or et de rouge. Je marche le nez en l’air, le chien trottine le museau au pied des troncs et des murs. Feuilles de robinier, de micocoulier agrémentent ma collection.
Je cherche ce qui est tout petit. Je cherche l’éclat. L’abondance de l’éclat. Par le minuscule et l’éclat, je m’approche de toi.
novembre 2013
Sur les chemins du bois de Randy, dans mon pays de là-haut, je trouve des plumes de geai, des plumettes marquées de rayures bleues et noires. Presque des petits carreaux. Comme les robes des jeunes filles des années twist et rock and roll.
Tu nais dans nos récits, nos songes, nos paroles, le désir de découvertes à partager.
Je te parle de temps à autre, dans le silence remuant de mes conversations.
Tu es un être avant de naître.
décembre 2013
Je chemine dans le quartier plusieurs fois par jour avec le chien Cazan. Elle est vieille de quatre ans, notre habitude de promenade.
Mon regard sillonne les rues, cueille, amasse, s’abandonne. Mes rêveries vont et viennent. C’est ma façon. L’hiver somnole. Tu grandis dans le secret de ta croissance. En ce mois de la Nativité, tu pousses en avant ta vie. A l’autre bout des générations, ton arrière-grand-père s’est approché de sa mort.
Il est ainsi fait le monde dans lequel tu es entrée.
janvier 2014
A l’arrondi du ventre de ta maman, dans le regard joyeux de ton papa, tu apparais, véhémente et solide. Ton arrière-grand-père qui est mon papa s’en est allé, il a franchi la lisière qui sépare. Les jours rallongent, la lumière insiste, les amandiers sont ici en fleurs dans les vignes et dans mon pays de là-haut les chatons viennent aux noisetiers. Une saison nouvelle cherche son chemin.
Nul ne peut retenir le temps.
février 2014
En ville, les boutiques de vêtements pour enfants appellent mes yeux. Fille ou garçon ? Mystère. Alors, j’entre dans ma librairie aimée, je bavarde avec Farhat la libraire, je sillonne les rayons, j’achète des livres. Par exemple, Sur le grand WC, de Kathleen Amant. Je redécouvre les albums de la bibliothèque, Mon papa à moi, de Berthine Marceau et Claude Aubert. La machine à parler, de Miguel Angel Asturias, illustré par Jacqueline Duhême. Au vide-grenier, je trouve Le roi est occupé, de Mario Ramos.
Est-ce que tu les aimeras ? J’aimerai te les lire. Je nous imagine assises par terre ou sur le petit banc, sous le grenadier, tête contre tête.
mars 2014
Je désire être appelée Grand-mère. Par les autres, tout autour. Ah, vous allez être grand-mère… Avec Grand-père, on a beaucoup parlé de ce petit mot par lequel certains nous taquinent maintenant. C’est nouveau, c’est vibrant, c’est gai. Le mot révèle comment on a envie de t’accueillir et de te considérer. Les mots, ce sont eux qui nous font. D’abord eux.
Et toi, tu feras ta pirouette, tu nous appelleras comme cela te viendra. Tu diras ta façon de prendre ta place dans la langue et dans la famille.
avril 2014
J’ai écrit une histoire pour les enfants. Une histoire sur les enfants. Le magasin des enfants. Comment on peut dorénavant se procurer un bébé. C’est fou. Ça me préoccupe. Tu vas arriver dans une civilisation en grand bouleversement. Quelle grand-mère je vais être ? Qu’est-ce que je vais te raconter du monde ? C’est grand de devenir grand-mère, c’est beaucoup. Devenir grand-mère. C’est toi qui m’apprendras. Tu m’apprends.
mai 2014
Tu es née. Tu es une petite fille. Tu t’appelles Mia. Ton prénom m’enchante. Je te rencontre dans le clair-obscur de la petite chambre hospitalière. Tu as un jour. Tu es dans ton berceau de verre. Nous sommes seules un très bref instant. Tu ouvres les yeux. Ton regard vient de loin, d’ailleurs faits de limbes et d’énigmes. Tu me regardes. Je ne sais que faire de l’instant, il contient tout le poids du monde, je suis suspendue entre émoi et ébahissement. Ta maman arrive sur le pas de la porte, un petit mouvement anime tes yeux, tu as reconnu le son de sa voix.
juin 2014
Il y a ce moment champêtre dans le jardin, sous le figuier, en compagnie de nos amis Jean-Claude et Paule. Papa ou maman ont placé ton transat sur une deuxième table, à côté de la table du repas. Et voilà qu’une figue te tombe sur le visage alors que tu t’assoupissais. Tu pleures. Jean-Claude dit une parabole de la Bible. C’est comme une bénédiction. Toi, tu pleures. C’est une aventure, un souvenir, une contrariété. Peu à peu s’écrit le livre de ton histoire, des petits ratages et des joies partagées. Tu t’inscris dans le monde et nous apprenons à être des veilleurs.
juillet 2014
Nous allons, papa, maman, Grand-père et moi, dans mon pays de là-haut. Tu rencontres ton arrière-grand-mère, la ferme, le ciel, les bois, la lumière de l’été périgourdin, les voix inconnues de la famille et des voisins en visite. Tu es accueillie. Qu’est-ce qui de ce voyage fera trace en toi ?
août 2014
Grand-père prend des photos. J’écris de petites phrases de ci de là sur un cahier, sur écran, sur des papiers. C’est ma façon d’être grand-mère, en discrétion, en silence et sous le signe d’empreintes successives.
Grand-père, maman et moi t’avons conduite à un festival, Un piano sous les arbres, à Lunel—Viel. A un spectacle pour enfants. C’est Grand-père qui nous a invitées. Tu t’es endormie en musique sous les chênes géants.
Les arbres, aux côté des hommes, sont des veilleurs d’enfants.
septembre 2014
Les raisins sont mûrs à la treille. Je m’approche de toi de façon menue. A petits pas, à petites phrases, à petits regards. Petites becquées, petites gorgées, petites lampées, cela me convient. Je déguste les moments où tu nous rends visite, je savoure les instants où l’on vient à ta maison. Ce sont des temps rares, légers et graves. Tu dis des choses importantes, tu donnes des sourires, tu prolonges tes regards qui parfois nous interrogent au-delà de nous. Je te dis des mots qui claquent en français, tu es chic ! Ou bien des exclamations joyeuses en castillan, qué guapetona ! Et des paroles venues de loin en occitan, cogorleta !
J’ai très envie que tu aimes le grand trésor de la langue.
octobre 2014
Grand-père a fait un feu, dans mon pays de là-haut, au Cabanon où nous sommes toute une semaine, et des grillades. On se tient assis l’un à côté de l’autre. Je t’imagine près de nous. Les arômes du bois et le fumet de la viande dansent dans la lumière. Et ensuite la senteur des châtaignes grillées. Qu’est-ce qui du monde d’autrefois parviendra jusqu’à toi ? Des gestes du bûcheron, du jardinier, du tondeur de mouton, du vigneron ? Qu’en attraperas-tu ? Qu’en feras-tu ?
Qu’est-ce qui forgera ta raison de vivre ?
novembre 2014
Mon roman Nuèch blanca, est sorti. Je te l’ai dédicacé. Lalia, l’héroïne, a cinq ans, c’est une merveilleuse petite fille qui partage son temps avec son arrière-grand-mère Angèle. Ai-je écrit le livre il y a trois ans en songeant (sans le savoir) qu’un jour je serai grand-mère ? Comme Angèle, je voudrais te donner la nudité de l’étoile et mon rire franc. (c’est Victor Hugo qui a écrit ces mots) Être Grand-mère, c’est bien ça, non, l’amour sans aucun autre souci et en toute fantaisie ?
décembre 2014
Le soir de Noël tintinnabule dans la maison. La table est mise, chargée de promesses. La cheminée nous accueille. A ses côtés le sapin décoré, sous le sapin les cadeaux. Tout le monde est là. Notre petit monde, notre petite famille. Papa, maman, Zélia, Grand-père, toi et moi. Et le chien Cazan. Maman te donne ton dîner, puis on prend l’apéritif, on soupe, on parle, on rit, tu passes de bras en bras, tu rejoins ton transat, la soirée se déplie gaiement, tu as bien sommeil et tu restes éveillée. Tu nous tiens éveillés. Tu t’inventes et pousses sous nos yeux, tu imites, tu dis ton mot, tu bouges et te contorsionnes, tu veux toucher à toute chose, t’en emparer, tu t’échauffes de tant t’affairer. Et nous, ébahis et sots. Plus tard, depuis les bras de papa, tes mains potelées virevoltent, cherchent les rubans des cadeaux, taquinent le papier ; tes yeux attrapent nos gestes et ton corps s’arc-boute penché en avant, tâche de venir à bout de la grande activité qui nous enthousiasme tous, l’ouverture des cadeaux. Au fur et à mesure, maman et papa parlent, nomment, disent, racontent, leur voix résonnent dans la nuit, lumière pour la toute petite qui s’avance dans l’inconnu du monde et s’y établit.
janvier 2015
tu découvres l’étrange chose qui circule dans la maison et l’étrange chose découvre la petite fille qui apparaît de plus en plus présente, de plus en plus vivante. L’étrange chose, c’est le chien Cazan. Je caresse le poil de la bête familière, je dis en te le montrant, son cou est doux, très doux… son dos est rêche, très rêche… Ton corps s’anime, tu es curieuse, guillerette. Je prolonge les présentations. Il faut prendre le temps, beaucoup de temps pour regarder le monde, s’en approcher, le toucher du bout des doigts et de l’âme, ne pas le craindre ou le craindre, le nommer, y trouver sa place, s’y reconnaître.
février 2015
C’est vendredi 20 février. Une date historique. C’est un grand événement.
Pour la première fois, tu viens passer la journée à la maison. Toute seule, sans papa et maman.
J’envoie des sms à Maman. Des petits mots lancés. 11h. J’ai changé Mia. On s’est promenés dans le quartier. Mia s’est endormie dans la poussette.
13h30. Mia s’est endormie dans son lit.
14h53. Mia s’est réveillée avec un gros chagrin, elle était perdue, regardait partout. Grand-père l’a pris dans ses bras, enveloppée dans son plaid, nous avons parlé puis joué avec Violette et ça va mieux, elle regarde le feu et Cazan. Elle a repéré le train sur la voie au-dessus de la maison.
15h22. On part se promener.
Aujourd’hui, avec Grand-père, on a avancé dans le métier de grands-parents. On est émoustillés jusqu’aux larmes.
mars 2015
Les giboulées dégringolent, c’est tout pluie et vent en bourrasque puis un rayon de soleil pointe son trait. C’est la fête au dehors, des chamailleries entre l’hiver et le printemps. C’est comme ça tous les ans. Ce qui est exceptionnel cette année, c’est que tu as goûté le foie gras pour Pâques et que tu as eu un sourire de délectation. Un sourire inoubliable pour nos yeux gourmands de grandes personnes.
avril 2015
Grand-père et moi avons dessiné la maison en bois de nos rêves. Deux architectes nous accompagnent. Elle sera bâtie dans mon pays de là-haut, au milieu de la prairie et des bois, elle sera haute, posée sur les murs d’une vieille maison que Grand-père a sorti des ronces et des broussailles. Elle sera comme un bateau sur cale, un bateau de terre qui irait aussi en l’air. On se dit que tu aimeras jouer au-dessous, inventer des cachettes et des cabanes – ta maman et sa sœur s’y sont essayées dans le bois tout proche.
Quelque chose se perpétue et épice l’avenir.
Mai 2015
Assise sur ta chaise haute, repue après le repas de midi, tu discutes, tu parles à tes rêves, tu parles aux mots que tu veux attraper, ta bouche est un filet à paroles ; et j’écris sur une grande feuille les sons que tu jettes. Peu après, tu files à quatre pattes à l’autre bout de la maison, lancée dans un voyage immense et grandiose, et voici que tu te lèves à la faveur du fauteuil, tu te hisses et t’aventures loin, rieuse, fière, exploratrice, ambassadrice. Tu joues, tout t’est distraction et convoitise, tu sillonnes et arpentes, tu ris de tant de latitudes parcourues et soudain ta voix et tes yeux se brouillent, tu reviens aux bras, au port, au bercement.
Vivre est une affaire de haute importance, une affaire de haute lutte.
Mai 2014
Bien sûr, tu as eu un an, on l’a fêté et quelle fête gaie ! Il y avait les personnes qui t’aiment, qui aiment papa et maman. Il y avait ceux qui t’aiment et ont envoyé leur cœur en silence, comme Tata Zélia qui habite loin. J’ai rencontré Elise ta petite cousine.
Il y a eu plus. Il y a eu le mariage de tata Anne Marie et de Fabien. C’était l’Ascension. Pour la première fois, tu as quitté papa et maman pour la nuit. Grand-père et moi on est venu te chercher à l’heure de l’apéritif, au domaine d’Ale, au-delà de Capestang, au pays des vignes et on t’a conduite chez toi. Le trajet a été long, il faisait chaud, tu avais beaucoup marché, tu avais vu beaucoup de monde à la noce (toutes ces jambes de grands partout, une forêt de jambes et toi à te faufiler, à lever la tête et distribuer tes sourires aux têtes penchées vers toi, à la forêt de têtes), tu avais mangé un peu vite sur ta poussette… Arrivée à ta maison, tu as beaucoup pleuré, dans ton lit, dans nos bras, malgré nos câlins, malgré nos chansons, malgré nos paroles. Ah, on a cherché avec Grand-père ce qui te faisait si forte peine. Pour la première fois toute seule dans ta maison ? La fatigue de la noce ? Trop chaud ? Grand-père a trouvé. Il a dit, Mia a faim ! Il a préparé un biberon, je te l’ai donné et ensuite tout allait mieux ! Il était onze heures du soir. Dans la nuit, il y a eu ce grand moment où, assise sur mes genoux, rassasiée, tu as bavardé avec nous, tranquille, comblée, souriante. C’est avec Grand-père qui se tenait en face de toi que tu as fait la conversation surtout. Tu as dit beaucoup de belles choses avec les lettres qui coulent et sifflent, tu t’essayais aux s et aux ch, tu les laissais filer comme des sortes de soupirs, des gourmandises de satisfaction, c’était intense, c’était important. Et puis tu lui as donné ton biberon. Merci ! te disait-il. Il te le rendait et tu le lui tendais à nouveau. Tu émettais des chuintements et des sifflements d’acquiescement, on voyait bien que tu les disais pour toi.
Toutes deux, on a joué à donner des bisous à Doudou. Je faisais un bisou à Doudou, en disant haut et fort, Bisou Doudou ! je te remettais Doudou tu le prenais, tu penchais la tête vers lui, le portais contre ta bouche, t’arrêtais un petit instant.
J’aime t’écouter. Les bébés disent de merveilleuses paroles. On apprend à s’adopter.
juin 2015
tu marches, tu vas de l’avant, tu souris, tu tombes un peu et te relèves hardiment, le monde t’est promis, tu es l’enfant joyeuse. Chaque pas dit ton enthousiasme. Ta besace à ton épaule est gonflée de vœux, de jeux, et déjà de hauts faits ; et de grâce.
juillet 2015
Il fait un soleil chaud, la lumière de l’été dore toute chose. Tu es dans ton siège auto, plus allongée qu’assise. Derrière la vitre de la voiture qui démarre alors que tu t’en vas avec papa et maman, tu redresses le buste, tu agites ta main, tu dis au revoir. C’est ton premier grand et long au revoir. Perçois-tu que Grand-Père et moi qui déménageons quittons définitivement le Lycée Louis Feuillade ? Tu as, quelques instants auparavant, aidé maman à ouvrir ses cartons de jeune fille, regardé ses cahiers d’école, retourné ses jouets, passé en revue ses vêtements, tourné autour de ses bibelots, fait le tri à ses côtés avec ton empressement de petite fille enjouée. Debout, dans l’ombre des mélias, j’agite ma main en réponse. Le prix de la séparation s’apprend bien avant que très tôt.
août 2015
Dans l’été des petites filles, que ce soit mes étés, que ce soient les étés de ta maman et de tata Zélia, que ce soient les étés plus anciens des photographies, j’ai toujours aimé les petites robes, les jolies petites robes d’été qui laissent voir la beauté des corps de fillettes, l’élégance des mouvements, la vivacité des gestes, la gaieté d’aller et d’être. Tu as toute une garde-robe de petites tenues des plus coquettes, dans des cotons imprimés, à fleurs vives le plus souvent. Et qu’enjolivent les sandalettes gracieuses, les baskets ou les nu-pieds légers. Les barrettes, les nœuds et les rubans colorés dans tes cheveux, peut-être un bracelet sur tes poignets potelés. J’aime te lancer : Ah, Mia, tu es chic !
Je ne saurais dire tout à fait l’effet que me font les petites robes. Peut-être est-ce la filiation du féminin, la joie d’être du monde des filles ? Ou bien l’inestimable droit du corps des petites filles que nous élevons ici libres de leurs désirs et de leurs jeux.
septembre 2015
Papa fête ses trente ans. Il y a du monde, beaucoup de monde chez Papi et Mamie. Tous ces gens, que tu les connaisses ou pas, sont grands, bien grands, hauts sur pattes, avec leurs têtes au-dessus, lointaines, et leurs bouches qui te disent des choses, des compliments, des boniments, des paroles qu’ils multiplient comme des petits pains tout en mangeant des petits fours. Tu circules au milieu des jambes, dans ta jolie robe au liseré de tulle qui flotte au-dessous de tes genoux et tes bottes de grande fille. Tu t’inventes des chemins et des passages, tu as l’air un peu perdue parfois, tu cherches maman ou papa, tes phares au milieu de l’océan, ils te prennent dans les bras, tu te retrouves à hauteur des têtes, dans une oasis. Aller dans le monde n’est pas si simple.
octobre 2015
Au marché aux puces du quartier des Aubes, j’ai chiné. Qu’est-ce qui me ferait plaisir de dénicher pour t’émerveiller ? Maman me disait que tu raffoles des jeux d’encastrement. J’ai acheté à deux grands enfants un petit sac vert pomme en feutrine sur laquelle il y a trois fleurs jaunes en surimpression. Je leur ai pris également une boîte au couvercle ludique : il faut glisser les carrés, ronds, triangles, rectangles… dans les trous percés à cet effet. Tu viens à la maison, tu es emballée par mes trouvailles et tu t’essaies aussitôt aux deux jeux. Tu te promènes avec le petit sac, tu glisses les formes dans la boîte à travers le couvercle. Nous t’aidons. Puis bien vite, tu imagines mieux : tu remplis le petit sac des cubes, rectangles, triangles, ronds… et le voilà gros de ton invention. Et nous, admiratifs.
novembre 2015
Attendez, je regarde une petite fille, a écrit Victor Hugo. Je te regarde vivre, là est mon meilleur enchantement. Je ne sais pas me précipiter, embrasser, causer, m’empresser, encercler de mes bras ou de mes mots, m’amuser sur le champ. Je te regarde. Tu ignores la folie du monde, du moins je le crois, en en cela tu es fragile et frêle ; et forte d’être toute de confiance, d’envies, d’étonnement. Comment faire avec cela ?
décembre 2015
J’ai le grand honneur de te recevoir pour la première fois à la maison des Aubes. Je t’accueille pour la journée. Papa te déposera dans la matinée et maman te reprendra en fin d’après-midi. Je m’affaire. Je prépare une soupe rouge, avec pommes de terre, patate douce, carottes et betterave rouge. Et un couscous. Yaourt de brebis en dessert et compote de pomme. Tu es gourmet. Et puis les nourritures autres : les livres, les jeux. Grand-Père a acheté un gros sac de gros Legos. Et puis ma joie teintée d’un peu d’anxiété. Est-ce que je saurai faire, dire, accompagner ? Il y a si longtemps que…
Tu viens vêtue de ton jeans et de ton petit haut violet. Papa dépose la poussette, les sacs avec tout ce qu’il faut, le lit parapluie qu’il installe dans le boudoir. Je perçois la petite crainte lorsqu’il part. Je te parle, je te raconte qu’il va au travail, que nous allons passer la journée toutes les deux, à jouer, promener, déjeuner…
Et la journée file comme une flèche, pleine comme un œuf, joyeuse comme pas une autre.
Le grand jeu est le jeu de quilles en bois. C’est mon papa, ton arrière-grand-père Jeantou et mon oncle, ton arrière-grand-oncle Georges qui l’ont fabriqué. Je te montre comment faire rouler la grosse boule. Tu ris quand les quilles tombent, cela t’émoustille. Avoir du pouvoir sur les choses t’ébahit. Tu tentes la même chose mais tu ne sais pas faire. Alors tu coiffes les quatre quilles de chapeaux de couleurs pris dans le sac de gros Legos. Et puis tu m’apportes un livre, puis tu joues avec les chapeaux, puis tu essaies le fauteuil rouge de Grand-Père, son fauteuil de lecture, puis puis puis… tes jeux durent le temps de l’éphémère et nous voici dans une nouvelle occupation. Je m’amuse, me voilà jouant jusqu’à plus soif.
Pour le temps de la promenade du matin, c’est en poussette. Nous allons jusque chez Elizabeth et Christelle, mes coiffeuses. Il y a beaucoup de dames et d’animation, un monsieur aussi, et tu explores ce coin de monde inconnu du coin de l’œil, prudemment. La sieste de l’après-midi, ce sera dans la rue, oui, carrément, dans ta poussette dans le quartier. Tu pleures, tu ne veux pas dormir dans ton lit parapluie. Qu’à cela ne tienne, on sort, on sillonne le quartier, je chante le som-som que je chantais à ta maman et tu t’assoupis. Je m’étonne en entendant ma voix limpide et gaie qui reprend le chant à l’infini.
Somptueux état que l’état de grand-mère. Un état que les enfants éveillent dans l’âge avancé des grandes personnes qui débusquent en elles des mondes et des possibles inconnus.
janvier 2016
Nous sommes en promenade sur l’esplanade de l’ancienne gare de Castries, derrière ta maison. Papa, maman, Grand-Père et moi suivons tes déambulations tandis que Cazan suit les siennes. Tu cours à toute vitesse, tu vas ici puis là, tu t’accroupis, tu saisis un caillou, un bout de bois, tu attraperais des crottes et des mégots si papa ne t’interceptait pas à temps. Tu entends les corneilles qui volent haut dans le crépuscule, tu t’arrêtes, tu demandes les bras de papa pour grimper vers elles, tu crois à la puissance illimitée de l’autre, de toutes choses, à la magie. Au revoir les oiseaux, te voici sur la terre ferme, à trotter de nouveau, tu cueilles un caillou, le jettes au loin, tu crois à ta propre force, au miracle de ton geste et tu prends un bâton, trace une suite de traits rapides dans le sol, c’est tes débuts de l’écriture. Tu grattes, creuses et coupes, tu inscris ton nom sur la page de ton être au monde et le nom de ton énigme d’être là, sur terre.
Tes pas provoquent un poème que j’envoie à Grand-Père[ii].
février 2016
Tu prononces des mots, des expressions, tes premières phrases. Jusque-là, tu saisissais nos paroles, tu manifestais ta compréhension par des regards, des attitudes, des actes. Tu étais dans la langue, mordue par elle. Tu t’en étais emparée au dedans, à bas bruit, doucement, peu à peu, de façon mystérieuse. Maintenant, tu lances tes phrases au dehors, tu réponds, tu interpelles, tu entres dans les conversations.
Tu parais sur la scène des parlêtres et j’en reste bouche bée.
La plus belle chose qui soit à l’homme, c’est la parole.
mars 2016
Le printemps s’annonce, giboulées, pépiements d’oiseaux, bourgeons sur les branches, fleurs de coquelicots et de véroniques sur les talus… Et tu nous invites au vivant, tu fais éclore des phrases, tes gestes fleurissent de plus en plus précis. Alors, je t’ai offert une petite jardinière rose vif avec ses crochets pour la suspendre et un sachet de graines de tomates cerise que l’on sème ensemble. Tu ne comprends pas mon geste des semailles, ton plaisir c’est de toucher la terre à pleines poignées, avec tes mains de pàti, comme on dit à Marseille. Avec une joie débordante. C’est bien bon de tripatouiller le terreau bien doux. Une fois le semis et son arrosage finis, tu veux encore pétrir la terre dans la jardinière. Il me faut te dire Non, ne touche plus, tu vas perdre les graines…. Toi aussi, tu dis Non ! à toutes nos consignes, injonctions et autres interrupteurs de jouissance ! Pour que pousse ta vie de façon bien organisée, c’est à ce prix d’en passer sous la coupe des coupures.
Mars bis
Assis-toi ! fais-tu à ta maman afin qu’elle s’installe à tes côtés sur le tapis de jeux et que vous jouiez par terre toutes deux. E pati, me racontes-tu pour signifier que papa est parti travailler. Bonne nuit, dis-tu, le soir au coucher, me rapporte maman. Tata Élia, articules-tu lorsque nous évoquons la sœur de ta maman. Mèci, dès que l’on te donne quelque chose. C’est cassé, si un jouet est abîmé ou brisé ; ou si quelque chose est mal attifé. Le langage est là, tapi, aux aguets, prêt à jaillir. Et toi, ça y est, tu t’avances, tu y vas.
Est-ce de parler qui te rend plus longuement attentive lors d’une lecture, d’un jeu, d’un repas ? Et te voilà plus élancée, entrée dans le corps d’une petite fille de presque deux ans. Une semaine que je ne t’ai as vue et le changement me saute aux yeux. Hier soir, nous dinions ensemble en tête à tête chez toi, la nuit tombait, par la fenêtre, je regardais le ciel zébré de gris et de blanc, le crépuscule était paisible, quelque chose se suspendait. Je t’ai dit : Regarde, le ciel est beau. Tu as levé les yeux, les a porté par delà la vitre, a regardé et a émis un bref Mmm. Un geste d’acquiescement. Quelque chose de fugitif.
avril 2016
Grand-père et moi sommes à Simeyrols, très occupés à préparer la future maison en pierre et en bois. Il pleut, il fait froid, parfois un minuscule rayon de soleil s’immisce entre deux averses. Grand-père bâtit un muret de pierres sèches, j’ouvre un chemin dans le bois. Nous écrivons des poèmes sur les choses du monde, nous allons au cinéma et invitons les amis. Et on parle de toi. Beaucoup. Tu habites nos paroles. Avec Petit frère. On vous imagine jouant dans les prés, faisant des cabanes dans les bois, partant à l’aventure sur vos jambes vigoureuses, la tête dans les songes. On frétille, on rit, on vous attend.
mai 2016
C’est aujourd’hui le 1e mai. Maman a trente ans. C’est la fête. Maman est très belle dans sa robe rouge, son ventre rond en avant, tout droit lancé vers la vie. Autour de la table, dans ta maison, Papi, Mamie, Grand-père, Maman (et Petit frère), Papa, toi et moi. Tu es au bout de la table, face à Mamie qui trône à l’autre extrémité. On est tous sur notre trente ent un. La table est animée, le menu délicieux, chacun a donné de son amour, Papa a concocté une tourtière pommes de terre-oignon et un rôti de veau, Mamie a préparé une tarte aux framboises, je me suis occupé des gourmandises de l’apéro et Grand-père a offert le gros bocal de foie gras. Les grands discutent fort ou font silence, et toi, depuis ta place de princesse, tout près de la reine du jour, tu dégustes, tu dis un mot, tu joues, tu regardes, tu t’absentes et reviens…
Il fait bon vivre.
[i] Dans L’Art d’être grand-père, vers 1 de l’Immaculée Conception, p 168, Poésie/Gallimard, 2002
[ii] L’enfant se promène
court à toutes jambes
soulève
la poussière
et le monde
lève les yeux
vers le vol de corneilles
désire les bras
pour être plus haut
plus proche
de l’insaisissable
cueille un caillou
le jette en pâture au vide
qui l’attrape au vol
se saisit d’un bâton
se penche
trace à la va vite
deux ou trois traits
jeu de coupe coupe dans la terre
sillons de soie
s’éloigne d’un pas
sans se retourner
poursuit
sa tâche
d’aller de l’avant.
dimanche 31 janvier 2016, Castries
La chaise à grand patatras
Faut pas croire, la chaise à grands patatras, elle est pas si bizarre que ça. Elle a quatre pieds bien hauts, des barreaux en bois, un dossier un peu penché et un siège tout profond.
La chaise à grands patatras, y en a qu’une comme ça, une seule au monde. C’est Madame Jeanne qui l’a. Je la vois quand j’y vais pour dessiner et faire de la pâte à modeler.
Je mens pas, c’est pour de vrai qu’elle existe, la chaise à grand patatras. C’est Madame Jeanne qui l’appelle comme ça. C’est elle qui l’a mise là, dans un coin de son cabinet.
Je m’en fiche des dessins et des bonhommes et d’inventer des histoires avec. Un jour, je suis arrivé, on s’est dit bonjour avec Madame Jeanne, et j’ai demandé à être sur la chaise à grands patatras.
J’ai grimpé comme dans un arbre. Personne peut m’attraper. Comme sur un bateau. Personne peut me courir après. Comme sur un oiseau. Personne peut m’embêter.
Maintenant, la chaise à grands patatras, j’y monte à chaque fois. Je me couche sur le dos, je regarde le plafond, c’est calme. Je parle plus, je me repose. J’entends le tic tac du petit réveil de Madame Jeanne.
On peut la basculer, la chaise à grands patatras, alors je m’enfonce dans le creux tout vieux, tout mou. En boule, je me mets. Je peux sucer mon pouce même si je suis grand. Et même dormir.
C’est là qu’ils sont arrivés une fois dans ma tête. Les bruits. Les cris. Les coups. Ils me sont tombés dessus. Tous à la fois. J’ai eu peur. J’ai tremblé. Je pouvais plus bouger. Plus parler.
Madame Jeanne, a dit, Oh la la, ma chaise, c’est la reine des patatras ! Je me suis un peu consolé. Elle l’aime sa chaise à grands patatras, Madame Jeanne. Elle aime encore mieux la prêter.
Alors, j’ai dit que les bruits, dans ma tête, c’est maman qui les fait. Elle se tape contre les murs, la table, la télé. Et tout et tout. Fort, fort. Elle hurle, maman, et elle tourne.
Elle cogne si dur, maman, qu’elle tombe et qu’elle saigne. La voisine arrive en criant.
– Elle est follaliée, celle-là ! Et allez, on est encore bon pour les pompiers et les urgences de l’hôpital !
– Ah dis donc, voilà que ma chaise à grands patatras se transforme en chaise à grands patati patata ! a dit Madame Jeanne.
Sa voix était toute contente. Comme quand on blague.
– A grands blablabli blablabla ! j’ai répondu, comme ça, tout vite.
On a ri.
Alors, j’ai demandé.
– Follaliée ? Ça veut dire quoi ?
– Qu’est-ce que tu en penses, toi ?
– J’entends « folle »… tu crois que maman est folle ? Tu sais, toi ?
– Je crois que maman souffre beaucoup et qu’elle ne trouve pas ses mots pour dire.
Je me suis assis au fond de la chaise à grands patatras. J’ai pleuré.
Elle est importante, la chaise à grands patatras. J’en parle à personne. Même pas à maman quand je vais la voir à l’hôpital. C’est mon secret.
– Maman, elle est très fatiguée, toute pâle.
– Et toi, comment tu te sens ?
– Ça me fait triste et raplaplat.
Madame Jeanne sourit doucement. Je suis un peu mieux content.
A la fin, je laisse la chaise à grands patatras. Je dis au revoir à Madame Jeanne et je repars avec papa. J’habite chez lui pour le moment.
Sur le chemin, je saute. Je chante.
– Chaise à grands patatras
Chaise à blablabli blablabla.
Chaise à tralali tralala…
Chaise à youpi tralala…
Avec Le Magasin des Enfants, je veux poser la question du « désir d’enfant » à partir du discours : « l’enfant, j’en veux un, y a qu’à, tout est possible, c’est comme je veux, quand je veux… »
D’ailleurs : désir ou besoin ?
L’enfant serait en certains cas comme un objet courant de consommation, un produit.
Dans l’histoire c’est comme si tout à coup, la société s’autorisait, avec vitrine sur rue, à afficher ouvertement ce qui se trame en douce.
1.
C’est mercredi. Avec papa, maman, Léo et Bébé Nina, on fait des courses en ville. Le soleil est de la fête et on flâne, on fait du lèche-vitrine avant d’aller jouer au square. Maman adore !
2.
Dans la rue du Commerce, la plus longue et la plus animée, il y a un monde fou. La voix d’un monsieur dans les haut-parleurs fait de la pub pour les parapluies.
3.
— Tiens ! dit papa, on a ouvert une boutique flambant neuf à la place de la librairie.
De loin, la vitrine est très attirante, elle est recouverte de dessins et brille de mille couleurs.
4.
— Tout nouveau tout beau, dit maman.
Des gens se précipitent et font la queue. Ils discutent entre eux, ils sont très excités, on dirait même que certains applaudissent et que d’autres se disputent.
— Viens ! dit Léo, on va voir de près !
5.
Avec mon frère, on se faufile entre les grandes personnes, on leur passe devant, on se glisse jusqu’à la devanture.
Tout en haut, c’est écrit : « Le Magasin des Enfants »
6.
Je n’hésite pas, j’entre, Léo me suit.
— Des jouets, on va trouver plein de jouets !
— Et des jeux !
— Et tes poupées préférées, Laïa !
Je saute de joie et puis tout à coup, une fois dedans, je reste bête.
7.
C’est comme à la banque de papa ou au magasin de portables de maman, il y a des guichets et des tables pour accueillir les clients.
Toutes les places sont prises, les gens ont l’air drôlement intéressés.
8.
On voit de grands panneaux de pub avec des portraits d’enfants de toutes les couleurs du monde, des phrases écrites en fluo et une bande-annonce qui défile en clignotant.
« Depuis toujours vous rêvez d’un enfant bien à vous nous faisons tout notre possible pour vous satisfaire »
Léo et moi, on se prend par la main, on a un peu peur.
9.
A la table numéro 3, la dame et le monsieur sont tout contents. La vendeuse les écoute attentivement, elle parle d’une voix douce.
— On peut commander votre bébé dans le pays de votre choix. Ou bien il y aurait la solution du laboratoire…
— On préférerait un enfant… heu… tout prêt…
— Comment le désirez-vous ?
— Brun comme mon mari, ce serait fabuleux.
— Et avec les yeux bleus de ma femme, ce serait parfait.
10.
Au guichet 8, deux messieurs posent des questions.
— On peut envisager qu’une dame nous prête son ventre pour notre futur bébé ?
— Oui, oui, bien sûr ! Pour cela, il faut aller dans un autre pays, mais tout est possible…
— C’est merveilleux. On souhaite tellement devenir des papas.
— On sera comblés, ravis, vraiment ravis.
11.
Une dame toute seule entre avec un petit garçon et fonce à l’accueil en parlant fort.
— Vous comprenez, je vous le ramène, ce n’est pas ce que j’espérais ! Je suis trop déçue ! En grandissant, il devient trop agité, pas gai du tout !
Il y a un grand silence dans le magasin.
La dame éclate en sanglots.
— Les gens me trouvaient pas normale, je n’avais pas d’enfants, alors j’ai essayé d’en adopter un…
On entend les mouches voler.
12.
Puis ça repart, ça discute.
— Nous non plus, on n’a pas eu d’enfant, dit la dame du poste 7. Ça nous manque. En plus, j’ai le temps maintenant que je suis au chômage…
Le marchand prend un air très sérieux.
— Ici, au Magasin, c’est quand vous voulez, avec qui vous voulez, comme vous voulez…
— On a pensé à le faire en f.i.v.
— Parfait. Ici, le client est roi.
13.
Une musique sucrée danse dans le magasin.
Léo et moi, on se regarde, les adultes parlent avec des mots biscornus.
— Ils sont drôlement bizarres là dedans, chuchote mon frère.
— On se croirait chez l’Ogre ou la sorcière Pain d’Épice.
— Sauf qu’ici, c’est pas un conte, c’est pour de vrai !
— Viens, on s’en va !
14.
Soudain, un monsieur et une dame nous montrent du doigt.
— Oh, les deux beaux enfants, seraient-ils… ?
Léo et moi, on fait ni une ni deux, on sort à toutes jambes, on tombe dans les bras de papa et maman.
S’ils croient qu’on va se laisser faire !
15.
— C’était écrit Maison des Enfants… bredouille Léo.
— C’est trompeur, dit maman.
— On croyait trouver des jeux et des jouets…
— Il y a des grandes personnes, dans leur tête, ce sont les enfants qui sont devenus des jouets, dit papa.
— Tous ces gens se trompent, insiste maman.
Hé oui, affirme papa, les enfants sont des personnes.
Anne-Marie Routier
- , au même moment, écrit le billet suivant.
Elle avait posé un ultimatum : « Si tu n’acceptes pas de me faire un bébé », je pars. Le jour dit, elle est partie, mettant un terme à une relation de six ans tumultueuse mais forte. Lui est anéanti : au chômage depuis quelques jours, il ne pouvait pas, au risque de se comporter de façon irresponsable, lui donner son accord.
Que se passe-t-il donc dans la tête des jeunes femmes d’aujourd’hui ?
Le désir d’enfant est désormais confondu avec le « besoin » d’enfant : le désir d’enfant était ( est ) l’aboutissement d’une relation amoureuse « féconde », le besoin d’enfant, lui, est strictement individuel, personnel ; il fait écho à mille choses qui n’ont rien – ou si peu – à voir avec le lien à l’autre : besoin d’un enfant pour combler un vide, pour avoir un statut social, pour faire comme les copines, pour réparer une enfance difficile et faire mieux que ses parents. … Autant de motifs respectables mais qui débouchent tellement souvent sur des situations où les enfants seront élevés par la mère seule ( 80 000 en Languedoc Roussillon ).
Autrefois, on « avait » un enfant ou on n’en avait pas. Si on l’avait souhaité, c’était un « cadeau du ciel » mais si on ne pouvait pas en avoir, aucune alternative – mise à part l’adoption – ne s’offrait. Aujourd’hui, tout a changé ; si on ne peut pas mettre au monde un enfant naturellement, une batterie de possibilités s’offre aux femmes : la fécondation in vitro, la procréation assistée, les mères porteuses … Du coup, ce qui était un « cadeau » devient un « droit ». Désormais, on dit plus souvent « faire » un enfant et « vouloir » un enfant qu’ « avoir » un enfant ; ce qui était « donné » est devenu un « dû ».