Atelier d’artiste

Mon atelier se trouve dans une maison située dans un ancien quartier de jardins vivriers, à Montpellier, il ressemble à un atelier de peintre.
Y sont rassemblés mes livres, mes manuscrits, mes outils, les documents et autres papiers qui soutiennent mon chantier d’écritures du moment.
Il ouvre sur le jardin aux arbres accueillants, figuier, grenadier, sureau, où se donnent des lectures.
C’est le lieu de ma création, c’est le lieu où je reçois les écrivants ; on y converse, on y distille la langue, des récits et la parole.
C’est une croisée de chemins, le lieu d’un chantier, de commencements et de tâtonnements, c’est le lieu d’ébauches et de pertes, le lieu de la jubilation et de l’effort, de l’accomplissement et de la trace, c’est le lieu d’un mystère.

scriptorium





Comment naquit mon désir de créer mon atelier d’écrivaine…
texte initié lors de ma résidence d’auteur, à Blaye (Gironde)
novembre/décembre 2002

Mon projet ressemble à un vaste estuaire. Il est fait aujourd’hui d’eaux abondantes et cossues pour être né d’un désir ancien qui m’a peu à peu habitée et que j’ai nourri pas à pas.

Mon projet a une histoire, une histoire à la fois simple et ample.

1982-1988 : je co-fondais la Compagnie de théâtre, Le Théâtre du Blé Rouge, (Dordogne) avec Alain Abadie, compagnie pour laquelle j’écrivais des pièces aux thèmes ancrés dans le monde rural. Initiée à l’atelier d’écriture par Sylvie Bouchy-Gélas, médecin et thérapeute, je me mis rapidement à en accompagner moi-même.

1988, septembre : je quittai le Périgord pour la Provence (Signes, Var). Je commençais à dire des contes traditionnels de tous pays, quelques récits d’auteurs puis mes propres écrits, et ce pour tout public.

1989, septembre : je m’installai en Languedoc (Sussargues, près de Montpellier). Je contais et proposais des ateliers d’écriture aux colorations variées : interventions dans l’Éducation Nationale et dans des établissements privés, en bibliothèque, en librairie, en milieu psychiatrique, je conduisais des nuitées d’écriture, des randonnées écriture/contes. Je fus progressivement invitée à animer des formations autour de l’écriture, formations elles aussi aux objectifs et aux contenus divers (Éducation Nationale, organismes luttant contre l’illettrisme, milieux théâtraux…)
Je menais de front un travail sur l’orature, la littérature écrite et les pratiques pédagogiques autour de l’écriture.

1993, octobre : j’ouvris un atelier d’écriture itinérant dans le village de Sussargues.
C’était un atelier de femmes. Je m’étais rêvé écrivaine dans le cité, j’avais rêvé que l’écriture s’offre au plus grand nombre partout où elle peut se glisser, en particulier là où le public ne l’attend pas, où elle est, cachée dans de menus interstices. Je me positionnais comme écrivaine dans la cité.
Nous nous retrouvions chaque semaine pour écrire, sous ma guidance, chez l’une d’entre nous. Parmi ces personnes, deux mères de famille, une employée de banque, une secrétaire, une institutrice, trois peintres. Parmi ces dernières, deux amatrices et une professionnelle. Celle-ci créait des tableaux et peignait des meubles. Une autre femme était en passe de devenir potière.
Chaque semaine, nous changions de maison. Ce fut une année de grand enthousiasme ; émergèrent des écrits forts et des choix nouveaux de vie.
Les artistes peintres avaient mis en place chacune, chez elle, un lieu personnel. L’une s’était installée dans le garage, l’autre avait fait bâtir une pièce supplémentaire, la troisième avait réquisitionné une chambre. Elles possédaient un endroit consacré à leur seul travail d’artiste, et lorsque au fil du temps je me rendais dans ce local, j’éprouvais un étrange sentiment.
L’atelier devenait lieu de parole amicale, lieu d’échange artistique sur nos pratiques, lieu de vie, lieu de rêve, lieu de tous les possibles, lieu de projets, espace garni de papiers, de peintures, de pots, de pinceaux, de cadres, de fragrances et de textures multiples, de mémoire et d’envies, de créations en cours, de tableaux achevés…
Je rencontrai, la même année, toujours à Sussargues, une aquarelliste qui avait fondé son atelier de la même façon et qui enseignait de manière suivie.
Mon désir d’un espace bien à moi pour écrire et recevoir émergea dans ce mouvement, il prit peu à peu sens et forme : m’inventer mon lieu, lieu qui ne serait ni une bibliothèque, ni un bureau, ni une pièce, rien de ce que ces mots, bibliothèque, bureau, pièce, pouvaient évoquer de restrictif, de corseté, d’incomplet. Mon écriture se vivait ailleurs, autrement, bien plus largement, et dans un paradoxe, d’un côté de façon monacale et de l’autre d’une manière sociale, avec, liant les deux postures, une grande corporéité. J’avais envie d’un endroit assez vaste, de murs couverts de mes auteurs aimés, de livres répandus sur le sol, sur des guéridons, et de tables couvertes de manuscrits, de mes cahiers et de mes papiers, de stylos, feutres, un coin pour mon premier ordinateur… le lieu d’un chantier, le lieu de mouvements immobiles, en quelque sorte, à l’image même de la création en marche.
J’éprouvais le signe de quelque chose de puissant, quelque chose venant d’un amont lointain, quelque chose d’inscrit dans une préhistoire, trace d’une expérience ancienne et qui avait eu lieu dans un autre atelier… celui de mon père, agriculteur en Périgord noir et qui pratiquait plusieurs artisanats.
Son atelier abondait de mille objets allant des plus utiles aux plus hétéroclites, de ribambelles de boîtes de clous et de pointes de toutes tailles et de toutes formes, d’outils de menuisier, d’instruments de cordonnier, de journaux introuvables ailleurs, La Raison, journal de la Libre Pensée, de l’Express, qui paraissait très volumineux à mes yeux d’enfant, dans les années cinquante soixante, de papiers de famille, de professions de foi du militant tabacole et de l’élu de la commune, le tout en vrac sur des étagères ou bien glissé dans les trous de murs, couvert de poussière. J’ai souvenir même de pistolets de l’ère napoléonienne… la meule à aiguiser… la table à trier le tabac, et puis la radio, le poste, les voix d’un monde autre qui venait me frôler, la tribune de La Tabouine, plus tard, Radioscopie de Jacques Chancel, la voix du général de Gaulle et celle de Jacques Duclos… les mondes y foisonnaient.
Aujourd’hui mon père est un très vieil homme, l’atelier existe toujours, il s’est enrichi au fil des ans, œuvre silencieuse et pérenne, les odeurs y sont les mêmes quand elles ne se sont pas nourries de nouvelles fragrances : tabac, cambouis, quincaillerie, noix, bois de codre… Dans mon journal de Blaye, j’écris ceci, en novembre, alors qu’en résidence, je me trouve dans l’atelier de Catherine, artisan qui travaille le bois et la soie, et que des souvenirs émergent en moi :
« …je me souviens combien, enfant, j’aimais jouer avec la terre, l’eau, les plantes, le bois, la pierre, et combien cela aussi m’était reproché par ma mère, je me souviens combien j’aimais aller dans l’atelier de mon père planter des clous, raboter, scier, chiner parmi les outils d’ébéniste, de cordonnier, de jardinier, de mécanicien, de maçon… les uns arboraient des noms aussi mystérieux que leurs formes, varlopes, rabots, clé à molette… il y avait là copeaux, sciure, chutes de métal, bouts de bois…écriture saugrenue et vivifiante, préparatoire, vivait là un monde actif, métissé, jovial, sensuel, une foire à l’imaginaire, une foire d’empoigne aussi, il m’était rappelé que ma place de fille n’était pas dans cet atelier, « cette turne », disait ma mère, mais en représentation dans de jolies robes en broderie anglaise. »
En revanche, République, laïcité et libre pensée ferventes animant mon père, l’écriture et la lecture m’étaient autorisées, j’y étais vivement encouragée, rien d’incompatible là dedans avec les habillements coquets que je devais arborer sous la férule de ma mère qui souhaitait que je cesse de ressembler à ceux de ma généalogie, tous paysans en bleus sentant la vache ou le tabac. J’étais missionnée par les miens pour mon bien à devenir col blanc, professeur par exemple, pauvre vœu pieux, voilà qu’au lieu de sagement m’adonner à un métier de fonctionnaire, soft et obéissante, j’ai détourné l’autorisation donnée de lire et d’écrire à des fins créatrices, j’y ai mis quarante ans, certes, mais j’y suis arrivée ! Et je songe en écrivant ceci au livre de Manguel, Pinocchio et Robinson.
Retour au désir lointain.
Sussargues l’éveille, oui à la littérature et à l’écriture, mais comme matière vive, graines à faire germer, bétail sauvage à élever, argile à transfigurer, beaux morceaux de châtaignier à transformer, pierre de taille à ciseler… corps à corps avec la langue…
Bien sûr, marchent avec moi La Boétie, Montaigne et sa librairie, Fénelon

1994, septembre : j’allais publier mon premier roman pour la jeunesse, et je déménageais pour Saint-Geniès des Mourgues, village taurin et viticole – toujours près de Montpellier-, pour une maison spacieuse dont l’ancienne cave à vin devint… mon lieu. Je lui donnais tout de suite le nom d’atelier. C’était émouvant de passer du lieu agricole destiné à l’alchimie du vin, en un lieu littéraire voué à la transfiguration de la langue par l’écriture. C’était non pas passer de l’agriculture à la culture dans un glissement chargé de sens mais revenir au sens originel du mot culture, « travail de la terre ».
Désormais, j’écrivis dans cet endroit, entourée de rayonnages de livres, de mes bibelots, de mes tableaux, de mes musiques, de ma radio. Je récupérais des papiers de toutes sortes, j’achetais des crayons, des cahiers, des carnets, je conservais les offrandes des enfants, dessins, livres fabriqués main, créations menées en classe, j’assemblais mes notes de lecture et de réflexion pédagogique dans des classeurs… Enfin, j’avais une table pour mon ordinateur, une autre pour mon matériel, je prenais mes aises et mon écriture prenait de l’ampleur …
Là était le lieu… le chantier… l’effervescence…
J’y écrivis un deuxième roman pour la jeunesse, j’y peaufinais le travail que j’avais amorcé sur l’écriture-parole : comment articuler orature et littérature, comment inventer une passerelle entre ces deux mondes, comment créer du récit à la fois destiné au dire en public et à la lecture intime. Comment coudre ensemble au plus fin ces deux mondes, oral et occitanophone d’un côté, francophone et livresque de l’autre, mondes qui me fondent et se mêlent si subtilement sans que je renonce à l’un ou renie l’autre ?
Cela donna d’Enfance d’En face, publié chez Jorn en 1998, deux nouvelles que je donnais avec l’humeur d’un conte tout en colportant le livre. Livre décisif, temps charnière, émergence d’une tonalité nouvelle. C’est dans l’atelier que j’écrivis le roman pour jeunes qui sortira plus tard, en 2000, chez L’Hydre Éditions, Énéa la Cathare. C’est dans l’ancienne cave que je repris de nombreux écrits pour la jeunesse. J’y créais une grande partie de mon premier roman pour adulte, La nuit fut si lente à couler, paru chez Rouergue en 1999.
Peu après, tout en continuant de conter dans divers lieux, de conduire des ateliers d’écriture là où l’on me sollicitait et de rencontrer mon public en tant qu’auteur, j’ouvris un atelier d’écriture dans mon atelier

1996, septembre : départ brutal pour la région Midi-Pyrénées. Mon compagnon, désormais personnel de direction dans l’Éducation Nationale, est nommé au lycée public de Villefranche de Rouergue. Nos filles sont collégiennes. Impossible de scinder la famille en deux. Fermeture de l’atelier. Location de la maison. Mise à l’écart du désir. Arrêt de la marche. Je me suis laissée rattrapée par les cols blancs !
Dès lors, j’écrirai dans des bureaux exigus d’appartements de fonction, habitante clandestine de lycées, sans plus accueillir personne.
Cependant, les sorties de livres se succèdent, je cesse peu à peu de conter pour adultes, j’explore la psychanalyse, je transfère sur ma maison du dedans l’atelier perdu, mon écriture se fait de plus en plus fervente, mes publications pour adultes se précisent, le ballet des salons et des rencontres avec le public et l’enclavement en Rouergue m’invitent à une réflexion sur deux points  qui émergent lentement de mes expériences : la notion d’écriture et de littérature du lieu dit et le corps comme lieu de l’écriture.

1998, septembre : retour en Languedoc-Roussillon, à Montpellier, lycée Jean Mermoz. (Je refuse de retourner voir la maison de Saint-Geniès des Mourgues, mise en vente.)
Je continue d’écrire dans le petit bureau de l’appartement de fonction. Les écrits et les publications se succèdent. Le dernier de la Lune et Danse la vigne, roman pour adultes, paraissent en 2000 et 2001, connaissent un succès relatif.

2001, décembre : je suis invitée au salon du livre de Blaye, sur l’estuaire de la Gironde, par Préfaces, association de promotion du livre et de la lecture. Je tombe en amour du lieu et je vis de belles rencontres avec des jeunes du lycée professionnel.

2002, février : Préfaces me propose une résidence d’auteur. J’accepte.

2002, novembre et décembre : me voilà sur les lieux. Et une fois dans la Citadelle, je découvre mes voisines : Michèle, peintre, décore des meubles. Catherine travaille le bois et la soie. Chantal peint des portraits de femmes. Plus loin, un ébéniste et une céramiste, deux peintres que je ne rencontrerai pas. Il me suffit de vivre à nouveau au rythme d’un « village » et d’aller dans les ateliers des artistes pour que bondisse mon regret de l’atelier perdu, et que mon désir me talonne à nouveau, tenace. Mon envie, je la dis dans le journal que je tiens au fil des jours, journal qui est une rumination serrée, opiniâtre, sur le métier d’écrivain et sur l’acte d’écrire.
Parallèlement, les rencontres avec les enfants de l’école primaire de Saint-Savin, les lycéens du Lycée Professionnel de l’Estuaire et du Lycée Jaufre Rudel font surgir les questions récurrentes qui exacerbent mes propres questionnements :
« Où trouvez-vous vos idées ?
D’où vous vient l’inspiration ?
écrire, c’est pas permis à tout le monde…
Vous avez un don…
C’est avec la classe d’élèves menuisiers du lycée professionnel qu’il y a un « déclic » majeur. Comme d’habitude, inlassablement, je réponds que je n’écris pas avec des idées et que je ne sais pas ce qu’est l’inspiration. Écrire est à la portée de tous. L’écriture émerge du corps, elle est parole du corps, des perceptions, des émotions, des sensations, des résonances, des sentiments, des impressions. La mémoire, le désir, les rêves qui traversent l’écriture sont le corps. Ensuite s’arc-boute le corps à corps avec la langue, celui-ci impose un travail, beaucoup de travail, un labeur qui veut transfigurer un matériau et à travers cette transfiguration faire advenir un objet qui jusque-là n’avait d’existence que dans un plus ou moins proche invisible.
Nous voilà bavardant longuement, et voilà les élèves se plongeant dans mes cahiers, mes manuscrits, découvrant que l’écriture qui leur paraît lointaine, inaccessible, réservée, difficile, c’est un quelque chose de palpable, de proche, de moins intello qu’ils croyaient… un truc qui demande de s’y mettre, sans ça, rien…
Et si tout cela, cette lente et profonde rumination autour de l’écriture, pouvait se faire dans mon atelier. Mon désir rêve, m’installer à Blaye, créer mon lieu ?

Comment se précisa mon désir de créer mon atelier d’écrivaine…
texte 2 initié été/automne 2005 Montpellier


2003, janvier : retour à Montpellier, lycée Jean Mermoz.
Je diffère mon désir d’atelier dans la citadelle, Blaye est loin du Languedoc, son accès en est difficile, je donne du temps à mes deux filles qui passent de l’adolescence à la vie de jeunes femmes. Je renonce à m’installer sur l’estuaire alors que j’y ai initié des relations personnelles et de travail.
ART Cie, installée à la villa Olga, Montpellier (villa qui accueille également des plasticiens), m’invite pour une résidence d’auteur de neuf mois. Les comédiennes donnent, à la villa et ailleurs, des lectures de mes textes. Myriam François réalise un beau travail filmique et de lecture à deux voix du temps d’un retour, roman pour adultes paru à l’automne 2002, aux éditions du rouergue. Anne Thouzelier met en scène deux albums pour enfants, Calicobat, (Alice Editions, Bruxelles) et Il y avait une fois, (Magnard, Paris). Travail fervent, réjouissant. Je ne vis pas quotidiennement à la villa Olga –elle se trouve à vingt minutes à pied du lycée – comme j’ai pu demeurer seule dans la citadelle de Blaye. Je m’y rends de loin en loin pour les soirées de lecture, j’y accueille Isabel Garcia Amador, écrivaine espagnole qui me recevra à son tour à Lorca, en Espagne, j’y accompagne quatre nuits d’écriture, aux solstices et aux équinoxes, sur l’écriture du corps et j’y retrouve les comédiennes pour le travail.
Continuité de l’écriture, des publications, droits d’auteurs dérisoires, moments de découragement, nouvelles rencontres agréables avec le public jeunesse et adulte, multiplication des cafés littéraires, lectures, événements réjouissants, je reste… nomade.
Je découvre la sophrologie auprès de Norbert Cassini, dans son lieu très accueillant, j’approfondis mes connaissances théoriques en psychanalyse, accompagnée par Mireille Bringuier6 qui me donne une leçon de deux heures hebdomadaires. Je peaufine, grâce à ces deux domaines, mon travail sur le corps comme lieu de l’écriture, je propose des ateliers d’écriture autour de nos savoirs intimes7, de nos mémoires chaudes, ateliers qui s’intitulent autobiographie d’enfance, vivre son corps et l’écrire, passage, écriture des cinq sens, à corps écrit…
Mes créations suivent ce rythme :
Tout Doudou Caramel Mou, paru chez Alice éditions, propose aux enfants un conte dont le texte se dit, se chante, se joue, se danse, la lecture s’incarne dans le corps et la langue, dans la vibration des mots, la langue fait signe, son et sens tout à la fois.
Un train pour toi toute seule, éditions Jorn, est l’histoire d’une femme juive racontée à partir de ses gestes, des gesticulations de son corps, des images qui la traversent, de ses mimiques, de ses regards… La langue du récit est articulée aux perceptions, sensations, émotions, ressentis, réminiscences, impressions de l’héroïne…
Le temps d’un retour, roman qui raconte Léa, cinquante ans ; j’y ai travaillé chaque mot, chaque phrase pour nommer au mieux ce qui se vit dans le secret tempo de son corps – allongé, par exemple, sur la table du gynécologue.

2003, juin : un événement décisif a lieu à la Villa Olga. Une nuit, je m’y rends pour écrire et dormir. C’est là que j’initie un texte sur l’écriture du lieu dit. Je parviens à fédérer plusieurs de mes réflexions et de mes questionnements sur le contenu de mes écrits pour adultes. J’écris sous la forme d’une première lettre adressée à Pierre Jourde8 à qui j’enverrai l’écrit. Je le ferai passer à Pierre Bergounioux et à Richard Millet. Depuis, je n’ai cessé de chercher le sens de mon écriture dans le lien avec la ruralité et la paysannerie dont je suis issue.
Paraissent Mondane de Fénelon, roman pour ado et Le prince qui voit juste, recueil de contes du Périgord, à l’Hydre Éditions. Les salons se multiplient, les ateliers d’écriture aussi, ma vie nomade n’a de cesse de m’entraîner ailleurs et plus loin.
Mes passages à la Villa Olga, les conversations dans la cuisine autour d’une tasse de thé avec Myriam François et Anne Thouzelier, l’accueil du public, me rappellent évidemment à mon désir qui se nourrit silencieusement. J’observe comment se vit le travail d’artiste dans l’espace de la villa, les relations avec le public, l’organisation pratique et l’organisation parfois compliquée du lieu. Je découvre en particulier la pénibilité qu’impose l’attente de subventions, les montages de dossiers, la menace qui pèse sur le statut d’intermittent du spectacle, les luttes à mener qui rongent le temps donné la création. Cela me renvoie à mon propre statut, précaire, et à la nécessité de trouver une solution. Je tâtonne, rêve, divague, cherche et trouve peu à peu… accueillir le public dans mon lieu, sous une forme libérale, me permettrait de compléter mes revenus. émerge une réalité nette : je veux être indépendante, ne pas m’articuler systématiquement aux politiques et aux culturels, devenir propriétaire de mon atelier, tâcher de mener à bien mon projet grâce à mon propre travail, à la manière des thérapeutes – celle qui m’avait initiée à l’atelier d’écriture était Sylvie Bouchy, un médecin et thérapeute, pas un écrivain.
Ceci m’entraîne vers des recherches de projets nouveaux, singuliers, très personnels. En sus de l’habituel atelier d’écriture, apparaît, par exemple, la perspective de recevoir le public (scolaire et autre) pour travailler autour de l’ «amont du livre » : découverte et exploration pédagogique de mes manuscrits, cheminement de la création, appropriation d’outils pour créer9 ou tout simplement découverte d’une culture, celle de la création en marche chez un artiste.

2003, été : alors que je reviens rarement sur la propriété familiale, en Dordogne, se dessine pourtant la possibilité d’installer un atelier ponctuel sur ce site. Un abri de jardin qui vivote au coin d’un bois est démonté, avec le projet de le rebâtir dans une chênaie et d’y créer un lieu où je pourrai de temps à autre, accueillir un groupe d’écrivants.

2004, printemps : comme en 2003, mes manuscrits pour adultes ne passent pas en maison d’édition. J’ai tenté d’écrire du polar, mais mon écriture reste trop « blanche » pour le genre. En revanche, je publie un roman pour ado, Le jour des oies sauvages, chez Rouergue, et un album pour enfants, La princesse du jour et le prince de la nuit, chez Alice.

2004, automne ; découragée de ne pas sortir de livre pour adulte, inquiète pour mon avenir professionnel, travaillée au corps, j’invente un projet singulier autour de la lecture, l’îlecture, projet qui m’apparaît adapté à l’atelier. Enthousiasmée, je tente aussitôt l’expérience en toute discrétion, dans l’appartement, au lycée, avec des proches à qui j’adresse un texte d’invitation. La journée s’avère réjouissante.

2004, hiver : je poursuis mon travail d’écriture pour la jeunesse et les adultes. Je suis encouragée : Le jour des oies sauvages est retenu parmi les finalistes pour le prix Tam Tam, du salon de Montreuil.

2005, printemps : je suis sans cesse sur les terrains, je ne gagne pas ma vie convenablement malgré la somme de travail fournie, je suis amère et fatiguée malgré l’enthousiasme des rencontres.
J’explore de plus en plus intensément la réécriture avec le public, enfant et adulte, je mets en place un accompagnement à l’écriture de plus en plus serré. Apparaît alors un désir : celui d’accompagner individuellement les écrivants dans l’acte d’écrire et, surtout, de réécrire. C’est la solution la plus cohérente et la plus viable pour avancer en écriture. Je perçois l’envie d’un tel suivi chez les écrivants, la demande est forte. L’atelier se prête parfaitement à ce travail.

2005, juin : j’accueille, à deux semaines d’intervalle, un même atelier d’une journée « écriture et jardin », une dans les bois, en Aquitaine, sur le site du chalet, une au lycée, à Montpellier, dans mon appartement : bon retour des écrivants, bel encouragement.

2005, automne : Le jardin de Jeanne, éditions du Rouergue, roman pour adultes, sort en octobre, en parallèle avec T.O.C, chez Magnard, pour adolescents, alors que plusieurs projets se dessinent avec Alice Éditions (Bruxelles).
Le désir d’un lieu et l’envie de mouvement me conduisent à transformer une chambre, dans l’appartement, en un boudoir dans lequel je rassemble mes livres et objets aimés. J’écris et réécris tout l’hiver dans la pièce, un roman sur le cinéma qui sera, au final, refusé. Je poursuis mon travail et ma réflexion sur la réécriture, très active, en particulier, en collège. Je peaufine l’accompagnement à la réécriture individuelle, travail qui touche beaucoup les jeunes et soutient les enseignants.

Atelier d’écriture-réécriture, atelier de lecture, accueil autour de la genèse d’un livre et d’un récit… j’ai plusieurs pistes de travail réalisables depuis « mon lieu » que je nomme maintenant, du nom d’atelier d’écrivaine, par analogie avec les ateliers de peintre, de sculpteur et qui fait partie, j’en suis maintenant convaincue, de la mise en œuvre de mon chantier d’écrivaine, étroitement articulé à l’écriture même. Je cherche une ville susceptible de m’accueillir, et dans cette ville un local à acheter. Je prends des contacts de façon assidue et tenace.

Comment aboutit mon désir de créer mon atelier d’écrivaine…
texte 3 initié été 2006 Montpellier/Saint-Pons de Thomières


2006, fin hiver-printemps : j’ai une pensée amicale pour Malika Mokkedem qui a publié Mes hommes, chez Grasset. A la sortie du livre, j’ai d’abord feuilleté le récit en librairie, lu des passages avec beaucoup d’émotion, sans savoir que… ce sont des hommes qui vont m’accompagner dans l’aventure qui se déroule cette année. J’avais lancé des bouteilles à la mer, et c’est Albert Devier, agent immobilier et ami, qui va le premier me faire signe ; il m’appelle en février et m’invite à visiter un local situé au numéro 20, de la rue Saint-Claude, à Montpellier. L’endroit me plaît tout de suite : plafond haut, salle spacieuse, grande ouverture sur la rue, dans un immeuble en pierre aux balcons fleuris. Un peintre en lettres l’occupait depuis vingt ans. La filiation serait belle et émouvante, et même mieux, elle va de soi. J’apprendrai plus tard, de la bouche des vendeurs, qu’auparavant, la salle de 70m2 était le lieu de travail de leur père, bouchonnier, un homme qui avait beaucoup d’amour pour son métier et qui s’y donna jusqu’à ses derniers jours. L’écrivaine et la petite fille qui jouait dans l’atelier de son père cultivateur, savent d’emblée que c’est là que va se concrétiser le rêve. Un autre homme veille, Alain Abadie, mon compagnon qui m’accompagne dans l’achat et le financement du lieu. La déambulation autour de l’atelier prend la forme d’un tracé de chemin qui se peaufine, il y a là quelque chose des gestes de l’écriture en marche, une fondation qui s’en suivra d’allées et venues, d’avancées et de reculées, avec des moments de joie intense et des passages âpres. Pour la restauration, je fais appel à Patrick Beretta – le troisième homme- entrepreneur, que j’ai rencontré chez Norbert Cassini, et qui vient participer à certains de mes ateliers d’écriture ou de lecture.
Et puis, il y a une rencontre, forte et précieuse  avec une femme, cette fois, Chantal Pierre, des ateliers MTH (centre de bilan de compétences), qui va me guider, de février à avril, dans le montage de mon programme, tant au niveau humain et personnel que pratique et matériel. Une fois par semaine, rendez-vous est pris pour avancer dans mon projet, passer du désir au palpable, mettre en mots, parlés et surtout écrits ce qu’il en est de mon entreprise, – et je me sens troubadour, chercheuse en marche -, j’éprouve une grande joie à être écoutée, orientée, soutenue et à découvrir une démarche d’écriture nouvelle ; ce travail, clarifiant, « les pieds sur terre », comprend la recherche de mes compétences (nécessaires au projet, à développer, disponibles, en cours, invalidantes), le montage d’un plan d’action prévisionnel, tant au plan artistique, pédagogique, matériel, publicitaire que financier. Chantal Pierre m’invite à travailler du côté de l’intime ; et c’est bien là fondamental pour l’écrivaine que je suis de me poser la question de la genèse de ce désir d’atelier, de la place et de l’importance du pré-texte ; tout autant que du côté des contingences – réel à certains égards terrifiant, qui s’appelle en l’occurrence comptabilité, budget, annonces.
Ce travail-là me fortifie humainement, me permet de me voir en tant qu’accompagnée et non plus en tant qu’accompagnante, il me donne de nouvelles pistes au plan de la pédagogie, une perspicacité et une sagesse qui modifient ma manière d’envisager les ateliers de lecture et/ou d’écriture que je guide ; j’y puise un langage et un regard autre qui viennent se frotter au mien, et ce métissage-là nourrit également mon écriture.
J’ai l’agréable surprise, alors que paraît L’enfant à la bouche de silence (Alice Editions, avril) d’être sollicitée pour de nombreux salons du livre en 2006-2007. Le roman participe à deux prix, T.O.C à un troisième ; Gaillac et Pau, que j’avais tant apprécié l’an dernier, m’invitent à nouveau comme si un pallier de plus était franchi, comme si soudain, la voie s’élargissait.
J’ai intitulé le travail mené avec Chantal Pierre, «  Comment inviter les étoiles ».
J’écris peu, bien que de nombreuses envies d’écriture me titillent, prise par le roulement de tambour du temps et de mes occupations « para-écriture », marquée par cette singularité de vouloir partager mes savoirs, en artisan compagnon du tour de France, et prise fortement, cette année, par les péripéties que font subir les recherches de financement, les papiers et démarches administratives.

2006, été : le local de la rue Saint-Claude m’appartient, les travaux de restauration démarrent, j’ai des étoiles dans les yeux. Et puis, pour la je ne sais plus combientième de fois, nous déménageons, pas très loin cette fois, dans un pays nouveau : Saint-Pons de Thomières, dans les Hauts cantons de l’Hérault, où mon mari vient d’être nommé proviseur du lycée Jacques Brel. Commencent les allers et retours de l’atelier au lycée et du lycée à l’atelier, de Saint-Pons à Saint-Claude. L’automne ne tardera plus, je suis une écrivaine nomade, mais avec, désormais, un jour par semaine, une tente de sédentaire plantée dans ma ville aimée.